A l’origine, un constat : le rapport Ringard (2000) signalait que 5% des enfants avaient un déficit du langage.
A partir de 2000, les instructions officielles successives (2002, 2008 & 2015) insistent sur le développement du langage oral dans le cadre scolaire et mettent l’accent sur l’importance de son acquisition dès l’école maternelle.
Nous avons tenté d’appréhender ce phénomène (déficit du langage) d’un point de vue linguistique. Ceci nous a conduits à la rédaction d’un ouvrage, La détresse langagière (2013). Nous avons montré que les enfants étaient en grandes difficultés en langue orale, difficultés qui entravaient potentiellement les apprentissages ultérieurs, notamment l’accès à la langue écrite (Morais, 1999).
Puis, nous avons développé l’idée que des pratiques langagières ritualisées pouvaient être un des moyens pour aider les enseignants à mettre en place l’enseignement de la langue orale. Nous avons proposé une nouvelle fonction du langage, la fonction patrimoniale du langage pour rendre compte de cette pratique langagière ritualisée (Rey & al., 2016). En effet, un des éléments d’apprentissage de la langue orale porte sur la transmission de textes oraux, portée par une tradition orale transmise entre des adultes et des enfants. Cette pratique de la langue orale repose sur des rituels et un apprentissage par cœur de ces contenus sans explication systématique de ces derniers mais avec des émotions partagées.
Cette fonction langagière est appelée patrimoniale car elle vise un apprentissage tout à la fois social et langagier par l’appropriation de récits, chansons, comptines, poésies. Par cette fonction, reposant sur l’imitation et la reproduction, l’enfant entre à la fois dans une culture mais aussi dans la langue (sons, gestes et sens).
Ce ne sont pas les textes qui sont patrimoniaux dans notre approche, mais la technique de transmission langagière qui est patrimoniale car elle relève de pratiques culturelles. Elle sollicite une attention conjointe, un décentrage du sujet et une activité mnésique. Cela consiste en l’effort conscient, en tant qu’acte intentionnel, de partager entre générations, des textes oraux.
En 2013-2014, nous avons réalisé une étude à l’aide de l’association nationale des conseillers pédagogiques (ANCP). 600 élèves de GS/CP et CM1 ont été évalués en mémoire verbale : 300 élèves étaient sans entraînement de la fonction patrimoniale du langage et 300 ont reçu un entraînement, à raison de 15 minutes par jours, pendant 14 semaines, entraînement précis comportant 5 min. d’allitérations, 5 min de poésie et 5 min. de contes. Les poésies et les contes étaient découpés en plusieurs séances. Deux résultats principaux : augmentation significative de la mémoire de travail et amélioration de la qualité d’attention conjointe – chez les enfants entraînés (Rey & al., 2016).
Cette recherche nous a permis de réaliser une synthèse théorique (Rey & al., 2017) et nous sommes en train de réaliser un ouvrage pratique à destination des enseignants.
Cette recherche-action rencontre un vif succès dans différentes académies.
Références
Morais, J. (1994). L’art de lire. Paris: Ed.Odile Jacob.
Rey, V., Deveze, J.-L., Pereira, M.-E. & Romain, C. (2017). Voix et gestes professionnels. La fonction patrimoniale du langage. Paris : Retz.
Rey, V., Romain, C. & Jallet, M. (2016). La fonction patrimoniale du langage : un moyen d’entraînement de la langue orale à l’école. Approche neuropsychologique des apprentissages chez l’enfant (ANAE), 141, 251-258.