Dire la couleur du monde où vécut son père, telle est l’entreprise d’Annie Ernaux dans La Place, véritable œuvre littéraire - quoi qu’en dise son auteure - récompensée par le prix Renaudot.

Fidèle à son passé, c’est avec minutie qu’Ernaux retrace les propos, les gestes et attitudes de ceux qui ont marqué son enfance. Le récit qui découle de cette tentative, Annie Ernaux le décrit froid, distant, factuel. C’est une écriture du constat que l’auteure revendique. Pourtant, malgré ses dires, l’émotion affleure dans le texte. Entre mépris et tendresse, Ernaux évoque le souvenir de son père, la façon dont il tenait ses mains, comment il passait ses dimanches.

Une attention particulière est portée aux mots, à ce qu’ils disent de ceux qui les emploient, selon la façon dont ils sont employés. Avec une touche d’humour, l’auteure rapporte des bribes du patois parlé par son père, propre au monde ouvrier duquel elle s’est extraite.

La hantise obsédante d’être « déplacée », de paraître en contradiction avec son milieu social, Ernaux l’exprime à maintes reprises. Il s’agit pour elle de trouver sa juste place, la vérité de sa condition, entre le monde ouvrier dont elle vient et la petite-bourgeoisie qu’elle rejoint progressivement.

La Place, c’est d’abord l’écriture du décalage, du déchirement. L’écriture prend alors une valeur singulière : elle est ce qui vient réparer, apaiser sans doute les douleurs du passé et combler l’absence du père disparu.

Le livre est court, mais l’écriture est dense. Dense dans sa nudité, dense dans le dépouillement du style. Il y a une intensité dans cette neutralité de ton. Dans sa grande simplicité, et malgré le refus de l’art qu’il manifeste, ce livre constitue une véritable création artistique. A lire absolument !