Pas de réponse depuis hier soir… Est-ce que je devrais renvoyer un message ? Il ou elle m’a répondu par un émoji, ça veut dire quoi ? Est-ce que je devrais montrer de la jalousie ? Au bout de combien de « je t’aime » la formule perd-elle sa magie ?
ELLE Magazine vous propose ce printemps de vous plonger dans un classique intemporel pour tenter d’appréhender à travers réflexions philosophies, œuvres artistiques diverses et conversations entre amis, le spectre du langage amoureux. Parce que mieux comprendre son couple, c’est mieux comprendre ses émotions.

« Cependant, j’ai aimé ou j’aimerai plusieurs fois dans ma vie. C’est donc que mon désir, tout spécial qu’il soit, s’accroche à un type ? Mon désir est donc classable ? Y a-t-il, entre tous les êtres que j’ai aimés, un trait commun, un seul, si ténu soit-il (un nez, une peau, un air), qui me permette de dire : voilà mon type ! »
Dans Fragments d’un discours amoureux, Barthes (1977)

Fragments d’un discours amoureux , de Roland Barthes

Pourquoi est-ce le coup de cœur du printemps ?

Si le titre de cet article est tout trouvé, c’est parce que le titre de l’œuvre de Barthes lui-même crie d’évidence et d’efficacité.
Cette encyclopédie du langage sentimental se lit au fil de vos émotions, comme une chasse au trésor introspective. De l’attente à la jalousie, en passant par le désir, la tendresse et l’insupportable, Barthes propose un abécédaire des états amoureux où le langage se met en scène et où le « je » s’interroge.
Qui ne s’est jamais surpris à sur-analyser, surinterpréter chaque petite chose, chaque mot et même chaque silence ? Bien que publié en 1977, l’être humain ne cesse de se tourmenter et de chercher à comprendre. Mais comment comprendre l’autre, comment comprendre son couple si l’on ne comprend pas ses propres sentiments ? Cet ouvrage, qui peut se révéler difficile à lire car structuré d’une curieuse manière, invite à réfléchir sur les émotions, les états d’âme que traversent les amoureux et le langage qui s’y prête. Les chapitres sont en fait des Figures, qui possèdent une courte définition et qui se déclinent en quelques idées ou plutôt scénarii, issus des frasques barthésiennes.
Pour autant, vous ne trouvez pas d’ordre logique, pas de point d’accroche dans ce voyage mouvementé si ce n’est l’alphabet. Et c’est en manquant d’ordre, en passant des démons à la magie par la loquète, sans aucune cohérence apparente, que Barthes dévoile l’amour : complexe, profond et surtout contradictoire. En passant d’une figure à une autre, vous passez en fait d’une pulsion à une autre, d’une émotion à une autre, aussi étrange mais fidèle que cela puisse être à l’amour. Vous vous sentirez perdue, peut-être, mais c’est là la force et l’intérêt de Fragments d’un discours amoureux : des idées riches de références (Goethe, Nietzche ou Saint Augstin) et aussi décousues et versatiles que peuvent l’être les sentiments amoureux ; mais surtout, la possibilité de lire et relire les figures qui vous intéressent dans l’ordre qu’il vous plaira.

En somme, cet essai psycho-philosophique vous éveillera. Attention tout de même, il ne s’agit pas là d’une bible où d’une analyse, mais bien d’une introspection à laquelle vous invite l’auteur. De ce genre de pensées auxquelles on se surprend à s’abandonner. De ce genre de pensées qui s’égarent parce que l’amour

L’auteur
Né en 1915 à Cherbourg, et décédé en 1980 à Paris, Roland Barthes, éminent linguiste, essayiste et philosophe est issu du structuralisme : penser l’homme avec le langage. Il est largement influencé par Saussure, Marx et Camus.
C’est avec Mythologies (1957) qu’il se fait connaître d’un large public. La nouvelle critique : Sur Racine (1963), Roland Barthes par Roland Bathes (1975) ou encore Fragments d’un discours amoureux (1977) : l’auteur multiplie les ouvrages et diversifie les styles (biographique romanesque, critique artistique, analyse sociétale) en y distillant sa touche personnelle : le langage et le sens. Réputé comme un auteur complexe à lire, Barthes fait de la structure et du sens de la langue, l’essence de ses œuvres.