Pour décrire son dernier roman dans un entretien diffusé sur France Culture le 12 octobre dernier, Georges Perec a déclaré : “La vie mode d’emploi répond un peu à cette question : Est ce qu’on peut organiser un livre comme un puzzle ? Est ce qu’on peut raconter des histoires qui certaines seront un peu incomplètes, d’autres auront l’air d’être tout à fait fermées sur elles-mêmes mais en fait elles peuvent s’intégrer les unes aux autres, elles peuvent prendre sens à la lumière l’une de l’autre comme deux pièces du puzzle qui en se rassemblant font une pièce tout à fait différente”.

Parti d’une idée de mathématicien, l’Oulipien Georges Perec a construit son livre sur la combinaison de deux modèles du « bicarré latin orthogonal » d’ordre 10 qui est une grille de 10x10 cases permettant de distribuer des éléments choisis de façon non aléatoire. Cela pourrait être déroutant pour le lecteur, mais comme le rappelle l’auteur dans son interview radiophonique, “il n’a pas besoin de savoir ce que c’est qu’un bicarré latin orthogonal”.

Dès le premier chapitre, le lecteur plonge avec délice dans ce roman qui est un véritable régal. Racontant de multiples histoires qui s’agencent et se recoupent à la façon d’un puzzle, La vie mode d’emploi se situe dans un immeuble dans lequel on retire la façade. On y aperçoit alors différentes pièces, différents étages et un escalier, à la manière des maisons de poupée.
Et que se passe-t-il dans ce puzzle ?
On y découvre chaque pièce qu’un peintre qui vit dans l’immeuble veut décrire dans un tableau, dont il imagine qu’il va peindre des scènes arrêtées à la manière des plans fixes au cinéma. Petit à petit, pour chaque pièce, il entre dans les détails, et il raconte une histoire qui est en train d’arriver, ou est arrivée à l’occupant. Ainsi, il parcourt la vie de l’immeuble depuis sa construction en 1870 jusqu’à sa démolition imaginée en 1990.

Le roman ressemble à un puzzle car le lecteur se déplace de chapitre en chapitre, c’est-à-dire de pièce en pièce, d’histoire en histoire qui s’imbriquent entre elles, pour ne composer à la fin qu’une seule histoire romanesque. Le temps du livre est atypique, il se déroule en une seconde, celle du 23 juin 1975 vers 20 heures au moment où le personnage central meurt.

La richesse du livre, c’est qu’il peut être lu à plusieurs niveaux.
Le lecteur peut se laisser porter par le nombre fabuleux d’histoires et de personnages qu’il y a dans le livre. Il peut aussi parcourir des littératures différentes : genres distincts et aussi autres ouvrages à travers les hommages rendus à divers personnages de livres, tels ceux de Raymond Queneau.

Georges Perec offre donc à ses lecteurs un livre à dévorer en mille petits morceaux.