Madame Bovary n’est pas morte

jeudi 19 novembre 2020
par  Alexandrine Choron

On a tous déjà entendu le nom d’Emma Bovary. Il arrive même que l’on sache quelques éléments de sa vie : les dettes, les amants, le suicide… Mais Madame Bovary est une lecture qui rebute au premier abord. Beaucoup ont d’ailleurs lu le roman éponyme pour la première fois dans un cadre scolaire, et donc par obligation. Pourtant, l’œuvre mérite réellement qu’on s’y attarde.

Emma est la deuxième épouse d’un médecin médiocre ; la tête farcie de rêves par ses lectures, elle désire mille choses que sa campagne normande ne peut lui offrir. Son village la rend malade d’ennui, et son mariage pour lequel elle avait d’abord été enthousiaste la lasse très vite. Il faut dire que son quotidien terne avec Charles Bovary est bien différent de l’amour décrit dans ses romans.

« L’amour, croyait-elle, devait arriver tout à coup, avec de grands éclats et des fulgurations, ouragan des cieux qui tombe sur la vie, la bouleverse, arrache les volontés comme des feuilles et emporte à l’abîme le cœur entier. »

Pour tuer le temps, elle regarde longuement à sa fenêtre – image mythique de Madame Bovary –, puis elle prend des amants, joue à la bourgeoise en vivant bien au-dessus de ses moyens jusqu’à causer la ruine de son foyer. Seule échappatoire quand elle est au pied du mur, criblée de dettes : le suicide par l’arsenic. Tout comme sa vie, la mort est à l’opposé de ce qu’elle aurait voulu. Elle ne meurt pas seule telle une héroïne tragique : elle agonise des heures, vomissant et convulsionnant, près de son mari désemparé et incapable de la sauver.
Cette histoire, elle est née de l’imagination de Gustave Flaubert, écrivain français du dix-neuvième siècle. Le roman parait en 1857 après cinq longues années de travail. Cette durée s’explique de deux façons. D’une part, le perfectionnisme de Flaubert, qui le pousse à établir des plans précis de son histoire, partie par partie, puis chapitre par chapitre ; rigueur que l’on ressent dans la structure du roman. D’autre part, il est de courant réaliste, et réalise donc de nombreuses recherches pour que les scènes décrites se rapprochent de la réalité autant que possible.
Flaubert est issu d’une génération qui souffre du « mal du siècle ». L’Europe subit des changements en profondeur, dont la révolution française et son échec, plongeant la jeunesse française dans une désillusion et une mélancolie que l’on ressent dans de nombreuses œuvres de l’époque. Dans Madame Bovary, cela s’exprime par un certain cynisme des personnages, par des tons gris et le sentiment général de désespoir qui se dégage de sa lecture. Les personnages sont imparfaits, le paysage monotone, et la protagoniste, Emma, s’ennuie dans son quotidien creux…
Et c’est bien cet ennui-là qui transpire de l’œuvre. Si on s’ennuie à la lecture du roman, c’est qu’on est plus proche d’Emma qu’on ne veut bien l’admettre : on souffre avec elle de la longueur du temps et de l’inaction d’une campagne isolée. Certains lecteurs seront en colère contre elle : quelle idiote, pourquoi ne quitte-t-elle pas son mari ? Pourquoi ne cherche-t-elle pas à s’épanouir dans son rôle de mère ? Pourquoi ne réfléchit-elle pas avant de se jeter dans les bras d’amants qui ne veulent que son corps et ne l’emmèneront jamais voir le « Colisée au clair de lune » ? « Cette Madame Bovary, vraiment unique en son genre », penseront ces lecteurs sévères. Ceux-là sont peu observateurs. Qu’ils regardent de plus près leur voisine, leur collègue, peut-être même leur propre mère ou épouse : Madame Bovary n’est pas morte, elle est toujours là. On la retrouve sous de multiples visages dans des milliers de variations différentes. Par exemple… Une femme au foyer sans emploi, malheureuse en ménage, qui se projette cœur et âme dans des séries romantiques pour échapper à son quotidien répétitif.

« Elle était l’amoureuse de tous les romans, l’héroïne de tous les drames, le vague elle de tous les volumes de vers. »

Cette même femme qui, une fois les enfants et le mari couchés, s’accordera au choix un pot de glace, un verre de vin ou un anti-dépresseur. Elle qui pour le jour de son mariage a fait les choses en grand, dépensant plus qu’elle n’avait, empruntant à tout le monde, pour qu’au moins un jour de sa vie ressemble à l’existence tout en paillettes qu’elle aurait voulu mener. Elle qui ne comprend plus son mari et vice-versa, condamnée si elle veut (re)trouver une vie sexuelle épanouissante à chercher un homme plus intéressé, plus à l’écoute, qu’elle aimera de tout son cœur pour l’avoir sortie un instant de son appartement trop petit mais qui lui ne l’aimera jamais en retour, ne voyant en elle qu’un pauvre jouet…
Non, Madame Bovary n’est pas un roman qui s’adresse à tout le monde. Il faudra être capable de passer outre l’ennui que se dégage souvent des pages et mettre de côté le jugement que l’on porte dans un premier temps à la pauvre Emma, pour finalement percevoir la puissance d’un texte au style incomparable dont l’histoire n’est pas figée dans le temps, mais continue à se jouer, parfois même sous nos yeux. Madame Bovary est un chef d’œuvre que l’on apprécie lorsque l’on prend le temps de s’arrêter pour y penser et pour savourer la plume de Flaubert. A ne mettre, donc, qu’entre des mains averties.


Publications

Derniers articles publiés

Navigation

Articles de la rubrique

Annonces

La formation Rédacteur Professionnel

Si vous souhaitez des informations concernant la formation Master Rédacteur Professionnel, unique en France, contactez :
marie-emmanuelle.pereira@univ-amu.fr
veronique.rey.2@univ-amu.fr


Le programme de formation RP

Vous trouverez le descriptif des enseignements dans l’onglet "formation Rédacteur Professionnel"