Travail sur la métaphore

Dans le cadre de l’UE "Poétique et Rhétorique 2"
jeudi 19 novembre 2020
par  Alexandrine Choron

Cette page blanche qui s’étale devant mes yeux est une banquise à conquérir ; terre stérile et glaciale, vierge et inexplorée. Je dois l’admettre, elle m’intimide : comment réussir à construire une base solide en ce lieu qui ne veut pas de moi ? Il faudra pourtant bien que je m’élance et que je fasse fi du danger ; on compte sur moi pour dompter cette étendue nue. Ce rapport, on me l’a commandé ; je ne peux laisser les neiges m’empêcher de remplir ma mission. Le premier mot que je parviendrai à apposer sera la première brique d’un abri ; encore faut-il que je le trouve avant que toute la glace n’ait fondu sous mes pieds. Le temps m’est compté.
Je sais pourtant comment enchainer les mailles d’un texte. Mon stylo a déjà tricoté de longues écharpes de mots qui tiennent chaud en cet endroit frigorifiant ; c’est une aiguille qui s’agite et qui déroule sous mes yeux son ouvrage, souvent imparfait, mais toujours cousu main.
La difficulté n’est pas de faire les points – une phrase est une phrase, qu’elle soit sensée ou non ; la difficulté, c’est de les faire tenir tous ensemble, en un travail solide et régulier. Chaque rang, chaque paragraphe doit soutenir le suivant. Il est fini, le temps des trous et des pelotes emmêlées : aujourd’hui, je dois adopter une écriture professionnelle. Je crains de ne faire que glisser…
Je connais pourtant la théorie. Le cerveau assimile les mots comme une substantifique moelle ; la digestion n’est plus une affaire d’estomac mais de réflexion. A moi de préparer quelque chose que mon lecteur pourra digérer. Des mots trop simples ne le nourriront pas, et des mots trop choisis encombreront son transit. Sur ce terrain glissant, il faut trouver l’équilibre.

Il y a des jours déjà je contemple ce pôle blanc. J’ai déjà cartographié les lieux tels que je vais devoir les construire : parties, sous-parties, liens et documentation nécessaire. Les plans sont là, dans mes mains, mais je reste en arrière. L’immaculé a quelque chose de terrifiant. La neige craque sous mes pieds : le temps passe, je ne peux rester statique trop longtemps. Il faut avancer, s’élancer. Mon aiguille doit dessiner mes premières idées. Heureusement, l’époque de l’encrier est finie depuis longtemps ; je ne risque pas, d’un geste malencontreux, de noircir et gâcher le paysage. Avec le numérique, jamais détricoter n’a été aussi aisé.
J’établi mon premier nœud ; la laine peut commencer à se dérouler au bout de mes doigts, et j’avance sans assurance : un premier pas dans la désolation glacée. Ce nœud sera mon nœud de sécurité, et la laine la corde qui me ramènera hors du danger. Ils sont la base de tout le rapport : le grand mot-clé.
Un premier met léger pour ne pas brusquer l’organisme.
Les mots glissent d’abord d’une aiguille à l’autre ; je les tourne, je les étudie, je les jauge. Finalement, je trouve mes premiers nœuds, et à partir d’eux, les mailles se profilent.
J’ingère les idées glanées aux quatre vents ; des cuisines variées qui convergent vers le même point. Mon esprit, cet estomac manqué, sépare ce qui est essentiel de ce qui est superflu. Le vocabulaire macère en moi, l’information filtre dans mon sang. Rassasiée, je transforme cette énergie en écriture. Je n’ai plus peur des mots.

Ça y est, enfin, je me lance ! La banquise de ma page parait moins blanche avec les repères plantés çà et là. Elle ne semble plus si immense et si hostile ; à peine un iceberg perdu dans l’océan de mon travail.
Les différentes idées du rapport sont des colonies qui envahissent ces terres que je croyais jadis inexplorables ; ces colonies, ensemble, se compléteront organiquement. Que feraient les reins sans l’estomac, que ferait l’estomac sans les dents ? Les liens qui unissent ces colonies sont identiques à ceux du système digestif : ils remplissent simultanément des fonctions différentes, mais on un besoin primaire de coexistence pour fonctionner.
Ces points de repères devenus colonies sont à l’œuvre, et les rangs emmaillés recouvrent le terrain autrefois immaculé. Le désert gelé a laissé place au fourmillement de mes mots. Je ne me laisse pas déborder pour autant ; il ne faudrait pas céder au vice de trop en dire et risquer l’indigestion. Je comprends enfin pourquoi la gourmandise est un des sept péchés capitaux : l’inessentiel nuit à la santé, l’inessentiel nuit à la clarté.
La terre inconnue est devenue terrain connu. Le travail sera long pour que les brins deviennent une œuvre terminée, mais je sais maintenant que je suis sur la bonne route. Plan, modèle, carte, appelons ça comme nous voulons ; quoiqu’il en soit, ce rapport qui s’écrit profite d’une longue préparation, et peux évoluer en sécurité. L’ensemble final sera prêt dans les temps, avant la famine, avant la fonte glaciaire.


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