Belle du Seigneur, ou le cirque de la vie

jeudi 19 novembre 2020
par  pierremariecaravano

Mes impressions :

La première réaction face à cette œuvre, c’est lorsque l’on découvre son volume. Pour ma part, un certain sentiment de regret m’habita. La deuxième réaction, toute personnelle celle-ci, c’est lorsque j’ai lu le résumé sur la couverture volante de l’œuvre, avec mes mots ça donne cela : une histoire de passion amoureuse où les adultères consomment le plaisir. Huit cents pages d’apologie de la passion amoureuse au détriment de tout sens de la fidélité ? L’inquiétude et la fièvre m’envahissent : mais pourquoi ai-je choisi ce livre ? Belle du Seigneur, c’était innocent comme nom, et puis Cohen est un juif, le judaïsme étant une culture de la loi et du sens moral, rien de bien méchant ne pouvait se trouver dans cette œuvre… bref, une œuvre sans préjugé vu de loin, écrite pour le plaisir des lecteurs et non pour véhiculer une idéologie. Fort heureusement, la lecture confirme cet a priori. Ouf, Cohen est un type bien, il n’a pas cette vision adolescente de l’amour qui réduit tout aux passions. C’était mal le connaître que de croire cela possible. Non, Cohen dresse plutôt un portrait réaliste sur plusieurs faits tristes. Il ne les dénonce pas, il les laisse se dénoncer eux-mêmes avec force ironie. Quelles sont ces réalités ? Entre autres, les rapports mondains, l’antisémitisme (légèrement), les jeux de séductions, la dévotion hypocrite.

Le résumé :

L’histoire est facile à résumer. Le personnage principal est un certain Solal, que plusieurs d’entre vous connaissent déjà puisque c’est aussi le titre d’un roman éponyme du même auteur qui eut beaucoup de succès et qui a ouvert la tétralogie dont Belle du Seigneur est le troisième opus. Ce Solal est sous-secrétaire général à la Société des Nations à Genève. Il s’intéresse à la femme d’un de ses employés, qu’il séduit après avoir essuyé un premier refus au début du roman. Il s’exile avec elle en France, pas pour fuir le mari, mais parce qu’il a perdu son poste, ce qu’il n’avouera que tardivement à sa belle. Puis, la jalousie, qui a toujours habité cet homme inconstant, le dévore petit à petit et le rend fou, conduisant le couple à une déchéance qui se conclut par un suicide.

Beaucoup de scènes ressemblent à un cirque, jouées et comiques, et pourtant l’ambiance est sérieuse et grave. C’est là un des grands talents de Cohen : une mise en scène criante de vérité qui tombe tel un couperet pour trancher à vif dans l’hypocrisie de la situation et la dévoiler. En lisant son livre, on se confronte sans cesse aux singeries de tout un chacun que l’auteur n’a pas su vomir autrement qu’en les décrivant « fidèlement » (c’est du moins l’impression que cela donne), tout en les expliquant à l’aide de mécanismes qui les tournent en dérision. Les quelques pages qui décrivent une réunion de directeurs au sommet de la Société des Nations synthétisent assez bien l’esprit du livre dans sa dimension dramatique et comique, c’est risible, et pourtant c’est réel. Le passage est bouffonnant à souhait, mais pas par caricature, par réalisme lucide et cinglant. Ces quelques lignes le reflètent assez bien :
« Aucun de ces directeurs ne savait en quoi devait consister cette action, pas plus d’ailleurs que Sir John qui attendait de ses subordonnés qu’ils lui apprissent ce qu’il voulait. Tous néanmoins parlèrent d’abondance, l’un après l’autre, la règle suprême étant de ne jamais perdre la face, de toujours paraître compétent, de se garder d’avouer qu’on ne comprenait pas ou qu’on ne savait pas. »

Lire ou ne pas lire ?

Dans cette œuvre, la haute société, les faux dévots, la passion amoureuse et ses jeux de séduction en prennent pour leur grade. Encore une fois, sans forcer les traits. Cohen n’est pas ironique, c’est par leur réalité même qu’il les tourne en dérision dans une froide et lucide description. L’ensemble du livre sonne comme un réquisitoire contre les aspirations secrètes des hypocrites en tout genre. La question est : huit cent cinquante pages, est-ce bien nécessaire pour un tel réquisitoire ? N’aurait-il pas gagné en efficacité en réduisant d’un tiers, voire de moitié ? Peut-être, peut-être pas, là n’est pas la question. Il y a tant de passages croustillants, tellement d’habileté dans la psychologie des personnages et un si grand talent dans la plume qu’il serait bien dommage de ne pas acheter ce livre, mais on ne vous en voudra pas si vous sautez des pans entiers du bouquin, vous aurez tout le loisir d’y revenir quand bon vous semblera. Sur ce, bonne lecture.


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