Que penseriez-vous d’un combat de boxe opposant deux hommes politiques ? On abandonne les mots, les petites phrases, la langue de bois pour les uppercuts, les directs et les coups de poing dans le foie. Imaginez un combat entre Jack Lang et Jean-Pierre Raffarin ! Un affrontement entre Laurent Fabius et Alain Juppé ! Un duel entre Noël Mamère et Brice Hortefeux ! Peu probable diriez-vous. Et le face à face serait un peu ridicule, car nos hommes politiques sont vieux, peu entraînés, un brin plan-plan. Leur langue est vive, mais leurs muscles sont au repos depuis trop longtemps.
La politique canadienne offre un autre visage. La relève, qui peine à s’imposer en France, semble bien présente sur les rives du Saint-Laurent. Deux figures jeunes et fringantes font les gros titres. Dans le coin gauche se tient Justin Trudeau, 40 ans, beau garçon et député du Parti libéral fédéral. Il est le fils de l’ancien premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau. Cet habitué des médias, au physique d’acteur américain, a souvent créé du ramdam sur l’Internet. Il est une figure montante de la politique canadienne. Dans le coin droit se tient Patrick Brazeau, 37 ans, force de la nature et sénateur du Parti conservateur. Il est métis autochtone, un des rares membre de sa communauté actif en politique. Cet ancien militaire pratique les arts martiaux, notamment le karaté. Son physique de catcheur américain, son tatouage volumineux sur le bras et sa queue de cheval en font un symbole d’une politique jeune et dans l’air du temps.
Ces deux personnalités en sont venues aux mains, se frappant le visage et le ventre à de nombreuses reprises le samedi 31 mars 2012. De plus, de nombreux témoins ont assisté au combat et avaient même payé leur place. Trudeau et Brazeau s’affrontaient sur un ring de boxe au profit de la lutte contre le cancer. Ils se sont donnés en spectacle pour la bonne cause, allant jusqu’à exhiber des torses musclés et des biceps d’acier pour la pesée d’avant-match. Les propos préliminaires débordaient d’invectives : Brazeau promettait de mettre K.O. son adversaire ; Trudeau prétendait qu’il n’hésiterait pas à porter ses coups. Malgré un match selon les règles de la boxe olympique, où la tactique et la précision sont privilégiées sur la brutalité et la puissance, le combat fut rude et les coups violents. Trudeau a encaissé, Trudeau a vaincu Brazeau sur arrêt de l’arbitre. Le libéral à la belle chevelure bouclée a épuisé le conservateur bodybuildé et a failli le mettre au tapis à deux reprises. Le sang a même coulé.
Certains verront une victoire politique de Justin Trudeau, d’autres la domination d’un groupe privilégié (fils d’un premier ministre) sur un groupe moins favorisé (issu d’une réserve autochtone). Les amoureux du sport pourront lire une confirmation que la boxe n’est pas un sport de brute, que la stratégie et la finesse sont reines dans le noble art. Mais ne faut-il pas y voir, une fois de plus, une théâtralisation de la politique ? Les petites phrases, les insultes, le buzz et les dérapages sont devenues monnaie courante, ces démonstrations de communication surpassent le débat d’idées, en voici un nouvel exemple au Canada.
Cela n’empêche pourtant pas de reconnaître la sincérité de Brazeau et Trudeau, dont les familles furent tristement touchées par le cancer. La soirée caritative a rapporté environ 230 000 $. Reste à savoir si le perdant respectera les défis lancés avant la rencontre. Patrick Brazeau se coupera-t-il les cheveux ? Portera-t-il un t-shirt du Parti libéral pendant une semaine entière ?
Rédigé par Laurent Falquet